AUDACE DU NAVIRE CORSAIRE
« LE TIGRE »
Les navires corsaires armés par des particuliers pour combattre les navires marchands de l’ennemi ont toujours été de précieux auxiliaires pendant les luttes maritimes. Il fallait aux équipages qui embarquaient à bord de ces petits navires, un rare courage pour mener à bien leurs expéditions. L’appât d’un riche butin excitait ces marins et leur faisait déployer une audace extraordinaire. Les fastes de la marine sont riches en prodiges de valeurs accomplies par nos hardis Corsaires. Au mois de mai 1778 l’Amiral De Vence pris la mer avec un navire corsaire nommé Le Tigre, portant quatorze canons de six livres de balles, n’ayant qu’un mât et une voile demi-latine, avec à bord vingt hommes d’équipage. Il naviguait depuis deux jours, lorsque’ il vu venir à lui vent arrière, avec la flamme en tête de mât, un gros vaisseau qui se mit à le canonner. Bien résolu à se défendre, l’Amiral De Vence, mis ses voiles au plus près, le cap au sud, pour tacher de gagner le vent. Quand il l’eut dépassé et qu’il vit son travers, l’Amiral reconnu que c’était un navire marchand, très fort et très bien armé.
Cependant il tachait d’avoir le vent, et lui, se rangeant sur le Tigre et lâchant toujours quelques canonnades. Pendant tout ce temps, l’équipage se préparait à l’abordage. Quand tout fût prêt l’Amiral dit, pour toute harangue, à l’équipage, en leur montrant le vaisseau ; « Garçons, voilà le butin ». Aussitôt il part un cri : « Vive le Roi ! Mon Capitaine, à bord à bord ! Il arrive sur le navire, lui tire un coup de canon à boulet, et arbore le pavillon Américain : Pas de réponse. Il lui en tire plusieurs autres : rien, pour lors, l’Amiral fait amener le pavillon Américain pour arborer le pavillon rouge, qui est le pavillon sans quartier. Il lui tire encore deux coups de canon: toujours rien. Il fait allumer la potiche, c’est à dire un grand pot de terre d’un poids d’environ cent cinquante livres ( soixante kg) plein de grenades et d’autres artifices et entouré d’une cinquantaine de mèches, il fait monter tout son équipage sur le beaupré,( Le mât de beaupré , est un mât dit majeur d’un voilier. Il se trouve à la proue d’un navire, fortement incliné vers l’avant). Chaque homme ayant un pistolet à la main, un autre à la ceinture et un poignard entre les dents. Pendant qu’il dépassait le navire anglais pour revenir au vent le beaupré entre son grand mât et son artimon
(le mât d’artimon étant le mât le plus à l’arrière d’un voilier, derrière le grand mât). L’Amiral fut forcé de lui présenter un instant son travers, et le navire anglais en profita pour nous envoyer toute sa bordée, qui heureusement fit aucun mal, L’amiral fit jeter à la fois le grappin et la potiche, qui fit un ravage effroyable, et les navires se trouvant bord à bord, l’équipage s’élança sur le navire anglais avec tant de fureur, qu’en un quart d’heure, de quatre-vingts hommes d’équipage qu’il avait, il n’en réchappe que sept: tout le reste fut poignardé. C’est ainsi que l’Amiral De Vence devint maître d’un vaisseau de vingt-quatre canons en batterie, prenant une cargaison de près de cinq cent mille francs, et qui comptait tellement sur sa force, qu’il était parti de Plymouth sans en avoir assuré un sous.